Portrait Ghada Hatem - La Maison des femmes

  Ghada Hatem, vous êtes gynécologue-obstétricienne et fondatrice de La Maison des femmes, un lieu d’accueil et de prise en charge des femmes victimes de violence. Expliquez-nous la genèse de la création de ce lieu unique en France.

 En 2011, j'ai rejoint l'hôpital Delafontaine, à Saint-Denis, en tant que cheffe de service de la maternité. J’ai été confrontée à des femmes en situation de grande précarité, qui pour certaines avaient fui leur pays pour échapper à un mariage forcé, étaient victimes de violences sexuelles, d’excision (14% des femmes des femmes qui accouchent à l’hôpital sont excisés), etc. Les besoins étaient énormes et les moyens à disposition peu adaptés. Il manquait un lieu où la santé était abordée d'une manière un peu différente de ce qui était fait traditionnellement à l'hôpital. J'ai voulu essayer de comprendre l'histoire, le parcours des femmes que je recevais en consultation. Beaucoup vivaient des choses difficiles qui impactaient leur santé et il n'y avait pas d'endroit où elles pouvaient venir en parler. Alors j'ai imaginé La Maison des femmes et je me suis lancée. L’hôpital a mis un terrain à ma disposition et j'ai suis allé chercher des fonds pour la construction du bâtiment, pour son aménagement, pour le recrutement du personnel ... Ça a été très long et j'ai bien failli abandonner. Heureusement, j'ai rencontré des personnes incroyables qui ont pris le relais et m'ont permis de mener ce projet à bout.

Comment est né votre désir de vous engager pour la santé des femmes ?Après une enfance et une adolescence au Liban où sévissait une guerre civile, j’ai choisi de rejoindre la France pour mes études de médecine. Un stage en maternité a décidé de ma vocation de gynécologue-obstétricienne, concernée par la santé globale des femmes et la prise en charge de la naissance.

  La Maison des Femmes réunit en un même lieu une approche médicale afin de soigner les blessures de ces femmes, mais aussi un accompagnement psychologique et social global. Cette approche, très novatrice en France, était évidente dès le départ pour vous ?

 Nous sommes partis d’un constat très simple : plus un parcours est complexe, moins il a de chances d’être suivi. Or la prise en charge des femmes victimes de violences fait intervenir de nombreux professionnels, impose de coordonner leurs actions et implique de s’adapter au rythme de chacune. Les réunir dans un lieu unique pour fluidifier leur parcours nous a semblé une évidence.

 Qui peut venir à La Maison des femmes ?

 Toute femme victime de violence, sexuelle, conjugale ou familiale, originaire de la Seine-Saint-Denis ou des département limitrophes. Les femmes viennent aussi pour une demande de contraception ou d’IVG, puisque nous avons également une unité Planification familiale.

 Comment faites-vous, avec vos équipes, pour prendre en charge et préserver les enfants des femmes qui viennent vous consulter ? 

Les femmes accueillies à La Maison des femmes sont mères dans près de 80% des cas. Nous avons donc créé un espace dédié à l'accueil des enfants le temps des consultations, animé par une auxiliaire de puériculture.

Ces enfants vivent la violence dans leurs foyers ce qui impacte leur santé, notamment mentale. Aussi, lorsque nous repérons leurs difficultés, nous leur proposons une consultation d’évaluation assurée par un binôme psychologue/pédiatre. Elle aboutit parfois à un signalement auprès du Procureur de la République pour enfant en danger, et nous permet le plus souvent d’orienter ces enfants vers une prise en charge adaptée à leur traumatisme.

 Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés avant de pouvoir ouvrir La Maison des femmes de St Denis ? 

Le principal obstacle a été le financement. Nous devions faire construire la maison, l’équiper et l’aménager. Nous avons eu beaucoup de mal à convaincre les autorités de l'utilité d'un projet pour lequel il n'y avait pas de référence. En 2016, La Maison des femmes était un projet très novateur. Heureusement plusieurs mécènes privés nous ont fait confiance. Mais il aura fallu plus de 3 ans pour lever les fonds nécessaires à la construction du premier bâtiment.

 Comment on fait au quotidien pour garder la motivation face à tant de violences faites aux femmes ? 

Accompagner au quotidien des formes si graves de violences n’est pas sans impact sur les professionnels qui travaillent à La Maison des femmes. Mais l’aide apportée aux patientes donne tout son sens à leur engagement, et le travail en équipe permet de s’appuyer sur des collègues autant que de besoin.

Afin de partager nos difficultés, des temps d’analyses de pratique sont organisés tous les mois. Deux séminaires annuels permettent également aux équipes de travailler à améliorer leurs pratiques tout en se ressourçant dans un environnement agréable.

Quels sont les futurs projets pour La Maison des femmes ? 

Prendre en charge les victimes d’infractions sexuelles 24h sur 24. Nous avons signé en décembre 2021, un protocole avec le ministère de la Justice et nous ouvrirons prochainement une unité dédiée à la prise en charge des victimes d’infractions sexuelles (viol, inceste, agression), avec un accueil H24-7j/7, la possibilité de faire des prélèvements à visée médicolégale, et de conserver les preuves en attente du dépôt de plainte.

Et continuer d’essaimer. 10 Maisons des femmes ont été créées en s’inspirant de notre modèle, et nous coordonnons aujourd’hui le collectif Re#Start, qui regroupe ces Maisons et celles en devenir. 

La Maison des femmes est un lieu ouvert et joyeux, qui accueille aussi des élèves afin de les sensibiliser sur le sujet de la violence. Comment la formation et la prévention sont à votre sens les meilleures armes contre les violences faites aux femmes ? C’est une priorité selon vous ? 

Oui c’est une priorité. Il faut informer, prévenir, déconstruire les idées reçues. Nous intervenons pour cela auprès des lycéens et des collégiens, et avons créé ou soutenu plusieurs outils pédagogiques, sur l’inceste ou l’éducation à la vie affective et sexuelle.

 Votre plus grand rêve pour La Maison des femmes ?

Que les femmes n’aient plus besoin d’elle !

 Que peut-on faire pour soutenir l’action de La Maison des femmes ?

On peut s’engager en relayant nos actions, en faisant connaître la structure, et bien sûr, en faisant des dons.

Le mot de la fin ?

Nous sommes très fiers d’avoir initié ce projet et de voir l’intérêt qu’il suscite, notamment au travers de sa duplication.